L’autel préhistorique du Monte d’Accoddi à Sassari

L’autel préhistorique du Monte d’Accoddi est, comme chacun sait, un « unicum » dans le paysage archéologique sarde, situé à 11 km de Sassari, près de la S.S. 131 de Porto Torres.

En 1952, le jeune Ercole Contu a lancé une campagne de fouilles qui a duré jusqu’en 1958 et qui a été reprise de 1979 à 1989 par Santo Tinè. Sur la datation et la signification du monument, plusieurs théories intéressantes se sont succédées au fil du temps, sur lesquelles il serait trop dispersif de s’attarder. Nous avons trouvé particulièrement intéressant et concis un article publié par l’archéologue Emanuela Katia Pilloni sur son blog en avril 2015. Cet article, précédé d’une citation de l’Exode, est reproduit ci-dessous dans son intégralité :

« Tu me feras un autel de terre, et sur lui tu offriras tes holocaustes et tes sacrifices de communion, tes brebis et tes bœufs ; en tout lieu où je me souviendrai de mon nom, je viendrai à toi et je te bénirai. » Exode XX, 24.

En Sardaigne, chaque relief de colline s’élève facilement à la dignité de montagne et il n’y a pas de différence entre les résultats de l’anthropisation et ceux de l’orogenèse. A Barumini, l’imposant palais nuragique apparaissait comme un doux relief de colline avant que les fouilles de Lilliu ne le révèlent dans sa majestueuse artificialité. Il en fut de même pour le Monte d’Accoddi : la pseudo-colline, située à 11 km de Sassari et à environ 5,5 km de l’étang et de la plage de Platamona, a caché pendant des millénaires, sous le déguisement d’un relief naturel, un trésor inestimable d’antiquité et d’unicité.

Le nom : Les variantes plus ou moins récentes du nom – Monti d’Aggodi, Monti d’Agoddi Monte d’Acode ou Monte La Corra – correspondent à différentes interprétations étymologiques qui ont alterné dans le temps : une herbe, kòdoro ; le lieu de collecte, accoddi ; ou la corne, corra. Virgilio Tetti la reconstruction la plus probable de l’origine du nom, qui dans les plus anciens témoignages cadastraux est appelé Monte de Code, c’est-à-dire Colline des Pierres (de coda = pierre) et dans les condaghe médiévaux de San Michele di Salvennor, le rendu espagnol du nom de lieu sonne précisément Monton de la Piedra.

La structure et les fouilles : Le mirage du nuraghe fermé à la vue par des pierres et de la terre a conduit les premiers enquêteurs à rechercher – aussi minutieusement qu’en vain – la présence d’une chambre intérieure dans le Monton de la Piedra. Mais les résultats des fouilles n’ont pas déçu les attentes : un remblai pyramidal tronqué, circonscrit par une cavité maçonnée supportant une terrasse à fonction d’autel rituel, et une longue rampe d’accès vers le sud. Les campagnes ultérieures ont permis de mettre au jour un autel plus ancien, de dimensions plus modestes, sur lequel reposait l’autel de récurrence : il s’agit du sanctuaire originel, auquel on a donné le nom de temple rouge en raison de la couleur ocre utilisée pour les enduits et le sol. Le sanctuaire comportait également des tables d’offrandes situées près de la rampe d’accès, dont l’une, de forme trapézoïdale, soutenue par trois supports percés de sept trous et d’un trou d’hirondelle naturel, semble rappeler des actions rituelles en l’honneur de la Déesse Mère ou d’autres divinités chthoniennes. Une pierre calcaire équarrie – un menhir de 4,44 mètres de haut – et un bloc sphéroïdal travaillé, interprété selon les cas comme un autel pour le sacrifice d’agneaux – sous la forme d’un omphalos delphique – ou comme un symbole solaire, complètent l’ensemble architectural.

Chronologie : L’examen du matériel archéologique, appuyé par l’analyse du carbone radioactif, a permis de dater la structure la plus ancienne du Monte d’Accoddi, le temple rouge, de la culture Ozieri, au Néolithique récent, entre 3.200 et 2.700 av. J.-C. : 1 600 ans avant les plus anciens nuraghi ! La fréquentation du site s’est poursuivie pendant longtemps – comme en témoigne la découverte de matériel attribuable aux cultures Monte Claro, Vaso Campaniforme et Bonnanaro – jusqu’aux époques protohistorique et historique. Un anneau en bronze portant le symbole du Christ dans l’Apocalypse (l’alpha et l’oméga) semble indiquer la continuation probable de la fonction sacrée du site même au Moyen-Âge, dans un cadre de syncrétisme religieux maintes fois retracé dans les contextes insulaires.

Ziggourat et Mastaba : Si les données architecturales formelles nous ramènent à certains modèles funéraires égyptiens célèbres – celui du mastaba tronconique plus encore que la pyramide – la fonction religieuse et la présence de la rampe d’accès cérémonielle semblent rapprocher le Monte d’Accoddi des temples funéraires de Montuohtep et Hascepsut à Deir-el-Bahari, dans lesquels l’ascension métaphorique vers la divinité s’exprime précisément dans l’escalier sans marches.

Au sommet de la ziggourat se trouvait le petit temple où résidait le dieu….

Les comparaisons les plus rigoureuses viennent cependant de Mésopotamie. C’est en effet vers les temples-tours du dieu solaire Belo (Baal ou Marduk), les ziqqurat, que nous nous tournons aujourd’hui avec le plus d’intérêt.

Mais si la tour de Babel biblique, ou le ziqqurat de Babylone, ainsi que ceux d’Assur et de Korsabad, sont d’un type complexe et peuvent être datés du troisième millénaire, le ziqqurat d’Anu semble plus proche en termes de simplicité d’agencement et de chronologie, à Uruk, où, selon l’historien grec Hérodote, parmi les rites propitiatoires de fertilité célébrés au début de l’année agricole figurait l’hiérogamie divine du ciel avec la terre, dans laquelle le ziqqurat servait de thalamus nuptial.

L’autel de Yahvé : la référence aux Saintes Ecritures ne semble pas non plus pérégrine. Dans l’Exode, en effet, le mode de construction de l’édifice sacré que Dieu lui-même indique à Moïse présente de fortes analogies avec le temple du Mont d’Akkoddi, tant pour l’utilisation de pierres brutes et de terre (« …tu ne le construiras pas en pierres taillées, car en élevant ta lame dessus, tu le rendrais profane ») que pour la présence d’une rampe sans marches (Tu ne monteras pas sur mon autel par des marches, de peur qu’on n’y découvre ta nudité »).
Le fait de chercher des modèles au Proche-Orient ne doit pas induire en erreur. Du moins pour le premier découvreur du temple, Ercole Contu, qui résume ainsi l’éternelle question :

« … à intentions, moyens et nécessités égales, en des temps et des lieux différents, les hommes ont pu créer des choses semblables et en même temps extraordinaires et merveilleuses sans qu’elles aient un rapport réel les unes avec les autres. Il n’est donc pas faux de parler de « miracle » pour le monument du Monte d’Accoddi !

Un miracle qui mène au ciel en s’adressant au monde de la Sardaigne.

Les photos de l’autel du Monte d’Accoddi sont de : Gianni Sirigu, Nicola Castangia, Diversamente Sardi, Bibi Pinna et ArcheoUri Vagando.

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