Comprendre quelle ou quelles fonctions les nuraghi ont rempli pendant leur longue période d’utilisation est probablement la question principale et encore irrésolue qui anime souvent les débats, aussi bien chez les professionnels que chez les amateurs. Pouvoir percer ce mystère est d’ailleurs fondamental si l’on considère que c’est précisément le « nuraghe » qui est l’élément caractéristique de la civilisation du Bronze et, à d’autres égards, la « singularité » la plus évidente qui caractérise le territoire de l’île. Les opinions exprimées à ce sujet, des plus anciennes aux plus récentes, sont variées et souvent divergentes, mais toutes sont dignes de respect. L’une des hypothèses les plus nuancées émane notamment de l’archéologue Giovanni Ugas qui, dans sa dernière publication substantielle, riche d’observations intéressantes et de nombreuses références bibliographiques, fait part de ses convictions personnelles, lesquelles reprennent d’ailleurs les thèses que ce même savant a toujours soutenues.
De son livre « Shardana e Sardegna » (Edizioni Della Torre-Novembre 2016), nous avons extrait un passage intéressant du chapitre intitulé « La struttura tribale » (pour la brièveté de l’exposé, les références aux observations et aux références bibliographiques ont été omises) :
« Bien que l’utilisation systématique de tombes collectives ait suggéré des communautés patriarcales sans inégalités sociales, l’absence de murs de protection dans les villages et les différentes articulations et grandeurs des nuraghi sont des signes d’une société hiérarchique dominée par des chefs. Les nuraghi dotés de murs extérieurs et défendus par une garnison de soldats, c’est-à-dire les palais des chefs de tribus, doivent nécessairement être reconnus dans les royaumes des « rois thespiens » Iolaioi, c’est-à-dire les Iliens, dont Diodore Sicule et d’autres auteurs grecs font état. Ils parlent de 40, aujourd’hui 43 ou 50 « rois tespiadi » à la tête des Iolaioi, un nombre qui tend à coïncider avec celui des nuraghi aux murs extérieurs à tourelles. Du XVIe au XIe siècle, la société sarde était administrée de manière centralisée par des chefs de tribus, structurés de manière hiérarchique. Au sommet de la pyramide se trouvaient les chefs ou « rois » des districts tribaux résidant dans les nuraghi à murs extérieurs. Une garnison d’au moins cent soldats était nécessaire pour assurer la défense des grandes résidences fortifiées protonuragiques (Su Mulinu et Biriola-Dualchi) et, plus tard, pas moins de deux cents guerriers étaient indispensables pour garantir la sécurité des châteaux à tourelles de l’âge du bronze récent comme Su Nuraxi à Barumini, Nuraghe Arrubiu à Orroli et S’Uraki à San Vero. Le nombre de plus de sept mille châteaux et monotorri a pu être atteint parce que pendant une période considérable de 600 ans, d’environ 1600 à environ 1000 avant J.-C., le même ordre politique a persisté sur l’île, impliquant un programme systématique de peuplement et d’élargissement progressif du territoire tribal mis en œuvre avec la construction de nouveaux châteaux et tours et la fondation d’autres villages. La persistance du même modèle politique pendant des centaines d’années a également conduit au renforcement du pouvoir des chefs de tribus et probablement, selon les innovations introduites dans le domaine des rituels funéraires, à partir des dernières décennies du XIVe siècle, les chefs de tribus eux-mêmes ont transformé leur fonction initiale à durée déterminée, typique des rois sacrés, en une fonction à durée indéterminée, typique des rois sacrés, en une fonction à vie et peut-être héréditaire, comme cela s’est produit en Égypte pour les pharaons qui ont prolongé l’exercice de la royauté dans le temps, avec l’institution périodique de la fête rituelle « Sed » impliquant le sacrifice de victimes de substitution et la présentation d’une preuve de bravoure. L’emplacement des nuraghi sur toute l’île, même dans les plaines alluviales où les gros blocs de pierre nécessaires à leur construction font défaut, est un autre signe d’un système de peuplement centralisé, ordonné et coordonné du haut vers le bas. Parfois, les nuraghi du territoire de San Gavino Monreale, dans la plaine du Campidanese, se trouvent jusqu’à dix kilomètres de la source du matériau pierreux et leur construction a nécessité non seulement un système de transport au moyen de charrettes et/ou de chariots tirés par des bœufs, mais aussi l’initiative d’une autorité supérieure qui planifiait la construction de nouvelles résidences fortifiées et mettait à disposition le matériau pierreux situé même dans des zones de cantonnement différentes et éloignées de celles dans lesquelles le nouveau nuraghe était construit. En outre, l’existence même des trois peuples distincts que sont les Iliesi, les Balari et les Corsi implique la nécessité d’organes politiques capables d’opérer à un niveau intertribal, tant dans les relations internes que dans les relations avec les représentants des institutions extra-insulaires… ».
En annexe : Su Mulinu di Villanovafranca (ph. Bibi Pinna) ; Biriola di Dualchi (ph. Alex Sardegna et Marco Cocco) ; Su Nuraxi di Barumini (ph. Gianni Sirigu et Valentino Selis) ; Arrubiu di Orroli (ph. Andrea Mura-Nuragando Sardegna et Pasquale Pintori) ; S’Uraki di San Vero Milis (ph. Bibi Pinna et Marco Cocco).











